BORDEAUX-NANTES - L'accord

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Proposée le 20/04/2013 par Tenerezza

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Bordeaux-Nantes, quai B, départ 14 h 35. Cinq minutes d'avance pour prendre ce train et choisir sa place, il considérait que c'était bien suffisant pour se permettre de rejoindre le quai avec nonchalance.

Arriver avant, c'était se donner l'avantage de choisir le compartiment, la place, et de pouvoir dissuader d'un regard peu engageant les personnages inintéressants, grossiers, et surtout sans aucune valeur à ses yeux : tout « ce » qui n'était pas une jeune femme entre 18 ans et 30 ans.

Pour autant, arriver au dernier moment, sous réserve qu'il y ait un choix raisonnable de place, conférait l'avantage de choisir LA place stratégique à côté ou en face d'une hypothétique élue.

Satisfait de son analyse, abondamment démontrée par les faits, tout au moins celui de pouvoir s'asseoir à LA place stratégique, il monta d'un vigoureux coup de reins dans le wagon et choisit le compartiment le plus adapté à son goût : en queue de train, fenêtre compartiment côté droit pour éviter l'aveuglement du soleil et la brutalité du croisement des trains, deuxième compartiment pour ne pas récupérer les voyageurs de dernière minute, essoufflés, qui ne manquaient jamais de s'affaler, sans discernement, empestant la sueur et s'étalant sans vergogne, comme si leur dernier exploit leur conférait le droit de prendre toute la place.

À cette heure-ci, en pleine semaine et sur cette ligne, il s'était fait cependant à l'idée qu'il ne trouverait pas LA place à prendre, celle que l'on prend presque comme excuse en raison du peu de disponibilités, tout en jubilant à l'intérieur.

Chaque compartiment avait d'ores et déjà son propriétaire dont il semblait qu'ils aient tous engagé la même stratégie de défense.

Il prit le premier compartiment vide qu'il trouva, dont il ferma la porte avec résignation, tout espoir de rencontre offerte par le destin définitivement condamné.

C'est une femme distinguée et d'âge mûr qui, quelques instants avant le départ, ouvrit la porte, déposa sa petite valise sur le siège en face et s'assit avec discrétion dans la place diagonalement opposée à la sienne.

Les premiers échanges de regards ayant suffi aux salutations et à l'évaluation de la situation, il se leva, descendit la fenêtre et porta toute son attention au départ de la rame : tout le plaisir, rien que le pur plaisir d'entendre les grincements caractéristiques des wagons qui prennent de la vitesse, le passage des aiguillages, l'alignement des vingt wagons, ils les avaient comptés, jusqu'à la tractrice.

Une demi-heure après le départ, les cheveux ébouriffés, le visage fouetté par le vent, il consentit à se rasseoir tout en ayant fermé la fenêtre par respect pour la femme, mais aussi car il savait qu'ils allaient traverser un long tunnel.

Il se retourna et découvrit alors, étonné, qu'une troisième personne était entrée dans le compartiment et s'était assise en face de lui.

Évidemment, pensa-t-il interloqué par cette situation inattendue, on ne peut simultanément s'intéresser à la technique ferroviaire et observer avec attention toutes les potentialités que la vie vous offre.

Car la potentialité en question été effectivement dotée de... qualités, comme, disons, il les aimait.

C'était une toute jeune femme, 22 ans - 26 ans, rousse, élancée avec élégance et délicieusement en rondeurs là où il fallait qu'il en soit ainsi. Vêtue d'une simple et unique robe, qui cachait avec sagesse les formes justes et proportionnées de la poitrine, et s'abandonnait avec nonchalance à mi-cuisse, la jeune femme lisait ce qui semblait être un roman à moins qu'il ne s'agît d'un essai.

Les deux jambes, serrées sans ostentation l'une contre l'autre, laissaient au tissu la liberté de se tendre sur le dessus des cuisses, et de couler en drapés sur les côtés. La robe, inégalement tendue d'un côté au moment de s'asseoir, soulignait par ses plis la puissance et la rondeur de la hanche, soulignant par les lignes de force qui la ceignaient la structure du dos.

Penchée sur son livre, les cheveux ramenés avec simplicité en une couette unique, elle présentait la grâce de son cou, le délié de ses épaules, la délicatesse de ses oreilles. Quelques cheveux libres coulaient finement en spirale sur les tempes.

Quelle grâce ! pensa-t-il en lui-même.

Elle était comme un bouquet de fleurs posé par une main bienveillante. De poser le regard sur elle était un pur plaisir des yeux et des sens.

Elle était entièrement tournée vers la lecture de son livre. Ce fut, en tout cas, la conclusion qui lui vint à l'esprit, sans imaginer qu'elle pût être perceptive par d'autres sens que celui du regard.

Mais cela lui semblait étrange qu'elle se soit assise exactement en face de lui ; pourquoi aussi, avait-elle choisi ce compartiment ? Peut-être que la présence de l'autre femme l'avait rassurée ?

Il se demanda pourquoi il y avait, face à cette vision surnaturelle, une séparation entre elle et lui. Pourquoi sa féminité éclatante de séduction naturelle lui était inaccessible ? Pourquoi, lui, animé du principe masculin et « observateur » de l'extérieur, ne pouvait-il pas la rencontrer dans son incarnation ? Que se passerait-il si, à l'instant même, il avançait la main et la posait sur son épaule, ou sur la hanche, là où le tissu tendu soulignait ce en quoi elle était la coupe du Graal ?

Il détourna son regard et revint à des considérations plus pragmatiques.

Rien dans les faits ne lui permettait de supposer que quoi que ce soit pût être possible. Au contraire, la proximité et le face-à-face interdisaient toute « approche conventionnelle » dont il était fin connaisseur.

Ce n'était pas lui qui avait choisi mais elle, et elle s'était positionnée en frontal.

Il reconnut que la tenue vestimentaire et la position corporelle de la jeune femme concordaient avec le choix de la place.

Il n'y avait donc rien à espérer...

Acceptant avec humilité ce constat, il eut simultanément le sentiment que quelque chose n'était pas achevé, mais sans être capable de discerner la part de ce qui lui incombait de la part qui incombait à la belle inconnue qui avait choisi de s'asseoir en face de lui en ce jour-là.

Le temps passait.

Il prit un livre mais laissait tout autant errer son regard vers le paysage extérieur. Ouvrir la fenêtre en créant un vaste courant d'air pouvait être inconfortable pour les occupants du compartiment en raison de la vitesse, et puis il ne vivait pas très bien la réelle proximité de la jeune femme avec laquelle il n'avait pas échangé un seul regard.

Se lever et s'accouder à la fenêtre l'aurait obligé à se rapprocher d'elle et à se montrer sous un jour qu'il ne maîtrisait pas.

Il n'avait pas conscience que, habillé aussi naturellement que cette compagne dont il reconnaissait la fraîcheur, il pouvait lui aussi faire l'objet du désir féminin.

Son short, descendant sous les genoux, mettait en évidence la puissance de ses hanches et de ses cuisses ; ceint par une ceinture en cuir, il montrait la finesse de sa taille.

Le train s'arrêta et la femme sortit sans autre forme de procès. Il assista sans regret et sans intérêt à son départ, oubliant par là même de constater qu'il se retrouvait désormais seul avec sa compagne du moment.

Cédant à son envie, il ouvrit de nouveau la fenêtre et se pencha complètement à l'extérieur, sans autre considération, comme il avait toujours fait depuis qu'il était en âge d'observer avec intérêt les ingénieuses et passionnantes techniques ferroviaires. Sans vraiment se le formuler, il percevait l'ingénierie du rail finalement plus rassurante et prédictible que la subtile complexité du désir féminin.

Son mouvement entier n'échappa à sa voisine, pas plus que l'avantageuse posture dans laquelle il se mettait inconsciemment.

Il se rassit, rassasié de sensations fortes et bruyantes, et rendit au compartiment son calme.

Le train des choses se remit en place, elle, lectrice assidue et silencieuse, lui raisonnablement acquis à laisser couler le temps jusqu'à la fin de ce voyage.

Le temps passait, le soleil descendait et illuminait par intermittence le compartiment à travers la fenêtre du couloir.

Toujours plongé dans ses pensées, il laissait errer son regard par la fenêtre donnant sur l'extérieur quand soudainement, un reflet du soleil se superposa au paysage extérieur, renvoyant toute l'image du compartiment : il lui apparut alors que la jeune femme avait levé la tête de son livre et l'observait avec attention. Oui, la complémentarité de l'angle sur ce miroir faisait qu'elle était précisément en train de l'observer.

Il comprit qu'elle ne savait pas qu'il l'observait à son tour. En tout cas, il n'envisagea pas une hypothèse différente.

Elle s'intéressait donc à lui ! Depuis combien de temps le regardait-elle ainsi ? Est-ce que c'était la première fois ?

Les quelques secondes lui parurent une éternité.

Qu'allait-il faire ? Tourner brusquement son regard pour la prendre en flagrant... désir ou tout au moins attention ?

Il décida de ne rien brusquer, de chercher à confirmer son observation et suivit ce que lui soufflait son intuition.

Il tourna lentement et naturellement son regard vers son livre et l'observa à la dérobée. C'est comme si rien ne s'était passé, elle était de nouveau absorbée par la lecture de son livre, son visage penché offrant la courbe délicate de sa nuque.

Il attendit de nouveau, puis se tourna résolument vers la fenêtre comme pour manifester un intérêt sans partage pour le paysage. Quelques minutes passèrent puis la surprenante conjonction se reproduisit. Cette fois, l'image fugitive la montra complètement redressée, ostensiblement tournée vers lui, les mains occupées à refaire sa couette.

Il décida d'arrêter le jeu et se tourna franchement vers elle.

Elle ne détourna pas la tête et leurs regards se rencontrèrent.

Elle lui fit un sourire lumineux sans cesser de soutenir son regard. Une fois sa couette replacée d'un tour de main précis et élégant, elle se leva résolument et, interrompant le lien qui les unissait, sortit du compartiment d'un mouvement décisif.

Tout s'était déroulé très vite, ne lui laissant que l'empreinte inattendue de la vivacité et de l'incarnation bien réelles de celle qui, sans bruit et sans intention apparente, lui avait tenu compagnie deux heures durant.

Son mouvement ample et naturel, sa robe qui se déplie puis souligne la merveilleuse cambrure des reins, un parfum discret, mélange de fragrances naturelles et musquées ; c'était tout ce qu'il lui restait à cet instant, tout cela mais sous le sceau d'un regard posé et d'un sourire engageant.

Seul le timbre de sa voix lui était encore inconnu.

Vers quelle direction était-elle allée si résolument ? Il supposa vers le wagon-bar. Mais cela n'avait pas d'importance à présent, puisqu'elle lui avait souri...

Son sang n'avait fait qu'un tour. Toutes les cellules de son désir s'étaient réveillées.

Tout s'était tissé dans la finesse, dans l'attente, dans le désir, mais il n'en avait eu conscience qu'aux seuls derniers instants.

Bien que n'étant pas du genre à proférer des condamnations radicales, il aurait pu résumer son attitude du terme lapidaire et réducteur « d'allumeuse », créant le désir sans en assumer les conséquences. Mais la franchise et la qualité du regard partagé donnaient le sens de ce qui avait été et lui laissait un goût de bonheur.

Après tout, si elle avait ressenti en elle un désir de rencontre, que pouvait-elle faire de plus que ce qu'elle avait fait ?

Se poser au bon moment, au bon endroit, pour permettre à quelque chose de se créer sans rien imposer ; c'était une finesse dont il reconnaissait volontiers la signature subtile de l'âme féminine.

Il reconnaissait aussi toutes les difficultés et les risques auxquels une femme est confrontée quand elle fait le premier pas.

Mais que faire à présent que tout était possible ? Et quelle était la frontière entre ce possible et l'inacceptable ?

Il se sentait désemparé entre le courageux et le téméraire, entre l'action et l'attente.

Il était partagé entre la facilité et la platitude d'une présentation verbale, et une subtile mais risquée approche « tactile ».

La réalité physique de cette jeune femme l'imprégnait. Tout dans ce qu'elle était lui parlait d'incarnation, de peau, de parfums, de courbes et de déliés. Il avait le désir originel de la toucher, de la découvrir - dans tous les sens du terme -, de se nourrir de ses puissantes formes féminines.

Tout était possible puisqu'il y avait l'accord implicite transmis sans mot dire, puisqu'il y avait l'invitation, puisqu'il semblait qu'elle l'avait choisi lui, précisément.

Tout était possible et avait le sens qu'avaient donné le regard assumé et le sourire offert.

Mais comment, et surtout jusqu'où ?


Se fiant à son intuition, et sentant qu'autre chose que le verbal était possible, il élabora un plan bien simple en vérité, mais à bien des égards improbable : lui proposer de la caresser sans jamais aller au-delà de ce que sa robe laissait découvrir. Juste avec la pulpe des doigts, suivre la ligne de ses désirs, et poser des baisers de découverte à chaque parcelle qui les appellerait. Lui proposer de s'allonger sur la banquette et de sentir tout ce qu'il lui offrirait sans jamais ouvrir les yeux.

Il déposerait un petit texte, et elle serait seule à le lire quand elle reviendrait. Elle déciderait, et si elle acceptait, elle ferait semblant de... de rien en fait ; elle attendrait les yeux fermés qu'il revînt accomplir la proposition.

Non, en fait il ne serait pas nécessaire de faire semblant, chacun des deux saurait ce qu'il attend de l'autre.

Il ne savait pas que sa demande serait portée bien au-delà de sa première expression.

Vite, vite, trouver un stylo, un papier... mais il n'a pas de papier hormis les pages de son livre et... son billet de train.

Le billet de train fera l'affaire, et puis... c'est un peu lui remettre les clés de sa destinée.

Voilà, il faut dire... Comment le dire ? Car la jeune demoiselle semble être dotée d'une intelligence subtile et bien structurée, et d'un langage très élaboré à en juger du style de livre.

Être simple, sincère, ne pas masquer, ne pas jouer : c'est elle qui l'a choisi et elle l'a choisi tel qu'il est... C'est une intuition dont il sent la justesse et qui va le guider pour rédiger en quelques minutes et quelques lignes la proposition dont dépendra l'accord.

Voilà, les grandes lignes sont déjà en tête : décrire les jeux de rôles, poser les limites, exprimer la nature de l'échange et permettre la transmission de l'accord.

L'accord, toute la difficulté est là, comment lui permettre de transmettre l'accord puisque toute la subtilité de l'échange, tout l'érotisme résident dans le silence. Comment être sûr qu'elle est pleinement d'accord ?

Sur ce point, il est hésitant car il éprouve la nécessité absolue de décoder clairement l'accord de la jeune femme. Sans cela, il ne peut se découvrir dans son acte masculin sans risquer au mieux un malentendu, au pire un incident. La seule posture allongée et l'attente ne peuvent suffire : effleurer le doigt sur sa peau est bien trop lourd de conséquences, bien trop intense et intime pour ne pas nécessiter cette certitude.

Il a trouvé la dernière clause :

— Je vous laisse le soin de me transmettre votre accord avec la même franchise que votre regard, et de vous assurer que je puisse l'interpréter.


Voilà, il est satisfait. Tout tient sur le dos du billet de train, mais... il éprouve le désir de rajouter une note d'humour et surtout d'érotisme, celle qui fait que tout devient possible. Inspiré et décidé, il retourne le billet face avant, et finalise la missive par un large et visible encart :

Bon pour accord pour un merveilleux voyage vers un pays inconnu et partagé : OUI / NON.

Vite, elle peut arriver à tout moment, reste à le poser pour qu'il soit certain qu'elle le lira et... qu'elle sera la seule... Ça y est, il a trouvé : il le glisse comme un marque-page dans le livre, contre le marque-page existant, dépassant juste assez pour attirer son attention.

Les gestes sont précis et rapides et il finalise son plan sans réaliser la signification du titre du livre qu'il vient de déplacer :
— Le jasmin des fidèles d'amour.


Il sort du compartiment le cœur battant, referme la porte derrière lui et se dirige rapidement à l'opposé d'elle, partagé de sentiments et d'émotions contradictoires, ému, tendu, un peu honteux mais aussi très troublé de son audace.

Ce n'est pas vers le bar qu'elle est allée puisque lui s'y retrouve seul quelques instants après.

Il commande un café pour se donner de la contenance et une bonne raison pour masquer ses tremblements qui le traversent malgré lui.

Il se refuse à tenter de comprendre où elle a bien pu aller depuis cette demi-heure. Mais ses pensées tourbillonnent malgré lui et il ne peut éviter de recevoir en pleine figure l'idée désagréable qu'elle a mis volontairement une distance entre eux, et simultanément, la sensation délicieuse qu'elle lui ouvre le champ pour... pour tous les possibles. Voilà...

De toute façon c'est fait et à l'instant même elle doit être en train de lire sa déclaration... Pourvu qu'elle ait à minima le sens de l'humour...

À cet instant, il sent tout le poids qui pèse sur la démarche masculine de proposer et de s'exposer, dès lors qu'elle n'est pas blindée par des certitudes. Finalement, les machos inconscients s'en tirent bien, conclut-il avec une pointe de consolation...

Le premier café terminé, suivi d'une commande diététiquement superflue d'un cookie et finalisée par un mars, il se décide à envisager de revenir.

Que risque-t-il en fait ? Pas grand-chose probablement, sauf si la demoiselle ne réagit pas comme il l'a supposé et qu'elle s'estime envahie dans son jardin, provoquant ainsi un esclandre auprès du contrôleur.

Justement, deux wagons après, le voilà, ou plutôt, voilà la contrôleuse qui remonte à sa rencontre, exigeant à son passage la présentation du titre de transport en règle et dûment validé par les clauses du contrat qui lie tout voyageur à la SNCF.

Tout le contraire du contrat proposé à la jeune demoiselle dont il se rend compte, un peu tard, qu'il va devoir en réclamer le support sans pouvoir empêcher d'en exposer le contenu.

Un peu vexé de s'être mis dans cette situation dont il aurait pu déjà conclure que la demoiselle l'en avait épargné d'une plus désagréable, il tenta de négocier auprès de la contrôleuse.

Peine perdue, celle-ci, quoique d'un abord sympathique et compréhensif, déclara lui proposer de l'accompagner puisque son compartiment était à peine à un wagon de celui-ci.

Dans quelle « posture » serait la jeune demoiselle ? Où serait son billet et surtout, comment justifierait-il, au pire, qu'il se soit étrangement transformé en tant que marque-page d'un livre que ne lui appartenait pas... et de surcroît pour le moins sensuel et érotique ?

Mais de la nature du livre il n'en savait rien, et c'était bien dommage car il aurait déjà à cet instant des éléments de réponse de nature à le rassurer.

Quelques instants plus tard, et assailli par de nombreuses pensées divergentes, il ouvrit la porte, suivi de la contrôleuse.

Tout paraissait normal et calme : la jeune femme dormait étendue sur la banquette, le livre posé à sa tête sans l'ombre d'un marque-page.

Sans doute, s'il était entré dans d'autres circonstances, aurait-il vu ce qui éclatait en pleine figure : tout était offert dans l'attitude de la jeune femme, tout sans excès, mais tout ce qui avait du sens, de la forme, de la sensualité.

Elle, elle devina tout, mais laissa le jeune homme chercher désespérément le double contrat dont il ne connaissait pour l'instant qu'une seule des deux réponses : celui de la SNCF, déjà connu et qui avait l'avantage de contribuer à stabiliser la situation ; l'autre... il ne préférait pas imaginer...

Quelques minutes après, ayant remué ciel et terre tout en pensant qu'il lui serait toujours difficile de comprendre les réactions féminines, il avoua qu'il ne trouvait pas son billet, préférant au final passer pour un resquilleur, au prix d'une amende salée, plutôt que de devoir exposer les clauses du deuxième contrat, non contractuel, qui seraient immanquablement déchiffrées par la contrôleuse.

À cet instant, la jeune femme se redressa et s'adressant à la contrôleuse et au jeune homme, expliqua, paisiblement, qu'elle avait trouvé un billet égaré, et ayant conclu à sa teneur qu'il provenait de ce « grand voyageur ici présent », s'était permis de le glisser comme un marque-page dans son livre. Effectivement, vu de la SNCF, il était un « grand voyageur » dont le nom et le prénom figuraient sur le billet, mais il espérait que la contrôleuse se contenterait de ce qualificatif-là sans chercher à explorer les perspectives complémentaires.

Puis la jeune femme s'allongea comme si de rien n'était et comme si rien d'autre n'était à faire, ce qui était naturel puisque toutes les causes et leurs conséquences semblaient converger et se dérouler vers un avenir pressenti mais dont elle n'avait pas imaginé l'amplitude et les promesses.

S'il n'avait été sous les effets de ses émotions, il aurait remarqué la tonalité un peu rauque, aux timbres riches d'harmoniques, de la voix de la jeune femme. Cela aurait été les bonnes circonstances, car le contrat à venir prévoyait une longue période de silence avant, qu'enfin, ils se découvrent par la parole.

Mais il n'en savait rien encore, ou si peu.

Seul le dernier obstacle, celui d'éventuelles remarques désagréables par la contrôleuse, sur l'usage illicite du billet, le préoccupait maintenant.

Il n'eut pas longtemps à attendre : elle déchiffra la face avant, jeta un coup d'œil sur la face arrière, composta le billet, et en ponctua la restitution d'un message de bienvenue accompagné d'un sourire radieux :

— La SCNCF et l'agence Rail-Time (ne l'oublions pas) vous souhaitent un merveilleux voyage vers un pays inconnu et partagé ...


Il sourit à son tour, visiblement ému et reconnaissant pour la discrétion et le partage.

Il s'assit sur sa banquette, le billet dont il connaissait déjà la réponse dans les mains.

Par désir et nécessité de voir concrètement l'affirmation de la jeune femme, il posa malgré tout les yeux sur le billet, sur lequel flamboyait un majestueux cercle rouge entourant sans aucun doute possible le OUI.

Elle doit être étudiante, pensa-t-il, perturbé par la force de la réalité qui s'imposait maintenant.

Qui d'autre se déplace avec un feutre rouge dans un train ? Qui d'autre qu'une ravissante étudiante, mais tellement femme aussi ?

Ce en quoi il se trompait, mais là, à cet instant, plus rien ne comptait que de chavirer vers cet échange sans paroles.

Tout se posait. Le temps n'existait plus, les oppositions étaient réconciliées.

Il se donna enfin le temps et l'espace pour la découvrir, puisque les peurs et l'excitation des premiers instants s'étaient dissoutes.

Autre chose s'ouvrit en lui.

Elle, elle avait déjà intégré cette transformation et assumait pleinement dans son abandon les conséquences de ce qu'elle avait induit, dès son premier regard posé sur lui sur le quai de la gare, par la force innée de sa puissance féminine.

Il s'agenouilla contre la banquette et se tourna vers elle.

Elle se tenait allongée sur son côté gauche, le visage tourné vers le dossier, un bras posé sur sa hanche droite et l'autre ramené devant sa poitrine, la main posée sur son cou. Sa jambe droite était légèrement repliée sur l'avant, accentuant la fabuleuse amplitude de sa hanche et la rondeur de ses fesses.

La robe soulignait l'ourlet de son sous-vêtement, dont le sage tracé remontait en suivant la ligne la plus haute de la hanche. Plus bas, le tissu de la robe cachait l'ouverture plus intime créée par le croisement des cuisses. Mais tirée naturellement vers le haut au cours du mouvement pour s'allonger, la robe laissait apparaître la ronde amplitude des cuisses.

Les mollets suivaient, remplis mais galbés, puis les chevilles solides.

Elle avait gardé ses escarpins et ce fut son premier geste vers elle. Il les lui enleva, sacrifiant ainsi pour la première fois les conventions du contrat, sans aucun remords ou inquiétude pour autant.

Elle dégageait une impression de puissance et de rondeur.

Elle s'était allongée proche du dossier, laissant ainsi un espace où il pouvait s'asseoir.

Il s'assit à la hauteur de sa poitrine et se pencha au-dessus d'elle.

Sa poitrine se soulevait au rythme de la respiration, laissant apparaître la naissance des seins à chaque expiration.

Il découvrait son profil pour la première fois. Des petites gouttes de transpiration perlaient sur son front laissant transparaître la chaleur qui, déjà, se révélait du fond d'elle.

Ce fut le premier contact qu'il désira d'établir avec elle : il déposa un baiser sur le dos de sa main gauche, posée sur son cou, comme pour créer le lien qui disait :

— Je suis là, chacun de mes désirs sera lié à toi, reconnais-moi.

À cet instant, elle bascula sur l'arrière en s'appuyant pleinement contre lui, posa sa main sur la joue du jeune homme, et orientant son visage vers elle, lui dit dans un souffle :

— Découvre-moi.


Dans son désir et ses limites, qui n'appartenaient qu'à lui, il entendit l'appel :

— Révèle-moi à moi-même par le toucher de ma peau. Découvre-moi par ton regard d'homme, sans intrusion mais sans fausse pudeur, et transmets-moi de chaque parcelle dont tu te nourris ce que tu découvres de ma féminité.


Il fut touché dans ses profondeurs par la plénitude de la demande. Elle le replaçait au centre de sa propre dimension masculine.


(à suivre)